Ce qui déborde et se soustrait

Dans la salle informatique d’une école d’ingénieurs, l’œil de Viviane Zenner a capturé des regards l’espace d’une journée. L’objectif a saisi des visages, des postures, des mains. La lumière des écrans envahit les modèles. Les regards sont errants, insondables. L’écran brûle la surface des visage. Le temps les consume. La lumière de l’extérieur renforce le caractère sculptural des corps. Plongés dans leurs travaux de recherches, les élèves sont isolés dans leur bulle de travail. À quoi pensent-ils ? La présence de l’objectif ne semble pas les perturber. Les dialogues sont suspendus. Les corps reliés aux claviers et aux images sont déconnectés. L’objectif de Viviane Zenner parvient pourtant à les relier. La photographie révéle une chorégraphie inédite, orchestrée par une lumière diaphane. L’œil guette les gestes, les oscillations, enregistre les instants de relâchement. Les mains s’appuient aux visages. La tension et la fatigue sont palpables. Parfois la concentration s’estompe, les regards s’échappent, les corps reprennent vie. L’attention portée aux échappatoires et à l’assouplissement des corps livre les détails d’une fusion étrange des corps et des machines. Un jeu s’opère entre l’univers informatique et le monde extérieur, vers lequel certains corps semblent être happés. Viviane Zenner a choisi une journée ensoleillée, en dissonance avec l’atmosphère austère de la salle. Les rayons de lumière adoucissent la sévérité de la scène. Ils effleurent les peaux, les murs, les machines. Une alchimie s’opère. Nous sommes happés par cette gestuelle, par ce déplacement de la concentration et l’épuisement, par ce qui le déborde ce dispositif et se soustrait.

Julie Crenn