Perles de sel.

2022

Texte de Laurence GOSSART

Le projet Perles de sel de la photographe messine Viviane Zenner est un processus mis en œuvre depuis 2021. Il tend à révéler les gestes des sportives, les corps des joueuses de handball, saisis à des points d’action comme à des temps de relâchement, ces temps invus que seule la photographie sait saisir. «Je vais, dit-elle, au plus physique des visages marqués par l’irruption naissante de la transpiration sur les fronts : eau et sel se combinent et marquent la respiration, celle des cellules. Mon regard accompagne les stigmates de la compétition, les plus rassurants comme les plus intrigants.» Traquant ces moments, elle touche à l’intime de ces sportives de haut niveau : un ensemble de portraits en noir et blanc montre en gros plan ces visages qui ne se savent pas regardés, durant les temps morts, entre les efforts et les actions, loin du pullulement d’images journalistiques qui exacerbent les gestes. C’est l’intimité que ne cesse de prélever Viviane Zenner dans l’ensemble des images qu’elle produit. « Dans ce projet, je propose une série d’images affectées d’un certain trouble, qui plonge l’observateur dans un monde ponctué de traces et d’indices peauciers celui de l’histoire pourtant bien réelle d’une compétition sportive de haut niveau.» Ainsi, dans ce processus, elle montre la pérennité d’attitudes, de mouvements, de relations entre les êtres, de corps à corps. Faisant écho aux portraits en noir et blanc, de plus petites images en couleur présentées sous bloc de plexiglass dont il faut s’approcher, deviennent sculptures et s’installent dans l’espace. La particularité de ces sculptures photographiques c’est que Viviane Zenner les fait résonner avec certaines des plus grandes œuvres de notre culture. Elle ranime ainsi l’idée d’héroïsme que notre époque tend à mettre à distance. Ici les images renvoient à d’autres gestes, d’autres héros au travers de l’histoire. Les corps ont un langage qui se perpétue, traduisant une cer-taine énigme que les tensions sportives comme héroïques partagent pour ne faire qu’un. Un regard qu’elle offre en partage au travers de différents temps d’élaboration : une installation d’images, le développement d’un projet pédagogique, l’édition du livre Perles de sel aux éditions END.

 

Laurence Gossart

Texte de François COADOU

Il suffit aujourd’hui d’un clic, d’un mouvement de doigt, il ne suffit que d’ouvrir sa page d’accueil, elle se connecte aux news, sur son smartphone, sa tablette, son ordinateur, pour qu’apparaissent et défilent des images d’événements sportifs. Les magazines et la télévision, jadis, les relayaient déjà : avec ces nouveaux médias, elles sont désormais plus présentes sous les yeux qu’elles ne le furent jamais. Dans un monde où il faut toujours du nouveau et du nouveau sensationnel – car c’est payant – dans un monde où l’on préfère, surtout, regarder ailleurs – car le divertissement permet d’oublier l’aliénation du quotidien – les images d’événements sportifs occupent une place de choix. En un sens, ce sont les images et récits idéaux. On ne chante plus guère les dieux ni les héros : sauf ceux-là. Le sport offre un story-telling de bon aloi : histoires d’ascension sociale, histoires de dépassement de soi, à force de travail, de ténacité, parsemées quelquefois de scandales, bien sûr, mais où la morale, une certaine morale, finit immanquablement par triompher.

Que diable Viviane Zenner allait-elle faire dans cette galère ?

Depuis plusieurs années, en effet, elle suit et photographie l’équipe féminine de handball de la ville de Metz.

Je vous entends : nous voilà bien loin, dites-vous, du star-system que j’évoquais. Voire.

Ce n’est plus seulement le foot qui intéresse aujourd’hui le monde. Et les dieux du stade aujourd’hui ne sont plus seulement des hommes. Et l’équipe féminine de handball de Metz n’est-elle pas l’une des meilleures au monde ? Jugez-en vous-mêmes par ses résultats dans les
tableaux des compétitions.

Et pourtant, donc, Viviane Zenner photographie.

Et voilà maintenant qu’elle en tire six images.

Et de tout ce qui était attendu, l’on ne reconnaît rien.

Il y a d’abord le passage au noir et blanc, qui met tout cela à distance du discours des médias, qui en un sens le déréalise, ou plutôt qui, paradoxalement, donne à tout cela une nouvelle réalité. Le noir et blanc, ou plutôt un camaïeu de gris : Viviane Zenner évite aussi bien les noirs
que les blancs profonds, saturés ; ce ne sont partout, ici, que d’infimes dégradés. Si Viviane Zenner évite donc la couleur, trop médiatique, elle évite tout autant cet autre registre qui serait celui de la photographie d’art ou d’histoire –comme on dit qu’il y a peinture d’histoire : des noirs et des blancs profonds auraient décidément quelque chose à la fois de trop esthétisant et de trop dramatisant. 

Il faut dire aussi que, bien loin du geste héroïque, des grands moments de l’action, une course, un saut, une passe, un tir, dont l’imagerie médiatique se délecte, Viviane Zenner choisit, en l’occurrence, de montrer quelque chose de beaucoup plus discret. C’est presque déceptif : elle décide de ne montrer que des corps au repos, saisis pendant les minutes de pause. À ce propos, me revient à l’esprit un texte d’Ursula Le Guin – La Théorie de la fiction-panier – où elle se demande comment on pourrait bien raconter des histoires de cueillette. On n’a jamais chanté que les hauts faits des chasseurs. Il en va ici de cela : raconter, par les images, autre chose que ce qui d’habitude est raconté.

Donner de la valeur, de la visibilité à autre chose qu’à l’exploit.

Et nous touchons là, je crois, au cœur du projet de Viviane Zenner.
Dans le médium même du visible, de la lumière, la photographie, elle cherche toujours à capter ce qui échappe ou presque à la vision, ce qui se trouve au seuil de la perception. Elle ne montre pas, dès lors, ce à quoi l’on pense évidemment, ce à quoi l’on pense forcément quand on parle de sport. Elle ne montre pas l’effort lui-même, les héros, ou plutôt les héroïnes, dans tout ce qu’elles ont d’héroïque, de surhumain. Elle montre le corps, non pas exactement au repos, mais au moment où il se relâche, où il se laisse aller à la fatigue. Détente. Fragilité. Faiblesse.
Il y a un moment, lorsque l’effort s’arrête, où la sueur commence à perler en haut du front. C’est ce moment-là, ce détail, fugace, dont on imagine toute la difficulté qu’il y a à le capter, dans la distance où elle se trouve, parmi la cohue du public, c’est ce moment-là que Viviane Zenner s’emploie à fixer et montrer. Ce presque invisible, qui perle un moment dans le visible, ce moment où le corps, que l’on pourrait croire machine, tant il est entraîné, tant il est virtuose, redevient corps, charnel, pesant et donc plein de grâce, ce moment où les héros, les héroïnes, baissent la garde, toute recherche de dépassement, toute volonté de puissance bue. Au milieu même d’un monde d’images trop souvent lisses, où le regard est aimanté, normé, Viviane Zenner offre ici à revoir l’humain : l’épaisseur, la profondeur d’un corps habité.

 

François Coadou 

 

 

Texte de François COADOU

Il suffit aujourd’hui d’un clic, d’un mouvement de doigt, il ne suffit que d’ouvrir sa page d’accueil, elle se connecte aux news, sur son smartphone, sa tablette, son ordinateur, pour qu’apparaissent et défilent des images d’événements sportifs. Les magazines et la télévision, jadis, les relayaient déjà : avec ces nouveaux médias, elles sont désormais plus présentes sous les yeux qu’elles ne le furent jamais. Dans un monde où il faut toujours du nouveau et du nouveau sensationnel – car c’est payant –, dans un monde où l’on préfère, surtout, regarder ailleurs – car le divertissement permet d’oublier l’alinéation du quotidien –, les images d’événements sportifs occupent une place de choix. En un sens, ce sont les images et récits idéaux. On ne chante plus guère les dieux ni les héros : sauf ceux-là. Le sport offre un storytelling de bon aloi : histoires d’ascension sociale, histoires de dépassement de soi, à force de travail, de ténacité, parsemées quelquefois de scandales, bien sûr, mais où la morale, une certaine morale, finit immanquablement par triompher. 

Que diable Viviane Zenner allait-elle faire dans cette galère ?

Depuis plusieurs années, en effet, elle suit et photographie l’équipe féminine de handball de la ville de Metz. 

Je vous entends : nous voilà bien loin, dites-vous, du star system que j’évoquais. Voire. 

Ce n’est plus seulement le foot qui intéresse aujourd’hui le monde. Et les dieux du stade aujourd’hui ne sont plus seulement des hommes. Et l’équipe féminine de handball de Metz n’est-elle pas l’une des meilleures au monde ? Jugez-en vous-mêmes par ses résultats dans les tableaux des compétitions.

Et pourtant, donc, Viviane Zenner photographie. 

Et voilà maintenant qu’elle en tire six images. 

Et de tout ce qui était attendu l’on ne reconnaît rien. 

Il y a d’abord le passage au noir et blanc, qui met tout cela à distance du discours des médias, qui en un sens le déréalise, ou plutôt qui, paradoxalement, donne à tout cela une nouvelle réalité. Le noir et blanc, ou plutôt un camaïeu de gris : Viviane Zenner évite aussi bien les noirs que les blancs profonds, saturés ; ce ne sont partout, ici, que d’infimes dégradés. Si Viviane Zenner évite donc la couleur, trop médiatique, elle évite tout autant cet autre registre qui serait celui de la photographie d’art ou d’histoire – comme on dit qu’il y a peinture d’histoire : des noirs et des blancs profonds auraient décidément quelque chose à la fois de trop esthétisant et de trop dramatisant.  

Il faut dire aussi que, bien loin du geste héroïque, des grands moments de l’action, une course, un saut, une passe, un tir, dont l’imagerie médiatique se délecte, Viviane Zenner choisit, en l’occurrence, de montrer quelque chose de beaucoup plus discret. C’est presque déceptif : elle décide de ne montrer que des corps au repos, saisis pendant les minutes de pause. À ce propos, me revient à l’esprit un texte d’Ursula Le Guin : La Théorie de la fiction-panier, où elle se demande comment on pourrait bien raconter des histoires de cueillette. On n’a jamais chanté que les hauts faits des chasseurs. Il en va ici de quelque de cela : raconter, par les images, autre chose que ce qui d’habitude est raconté. Donner de la valeur, la visibilité à autre chose qu’à l’exploit.

Et nous touchons là, je crois, au cœur du projet de Viviane Zenner. Dans le médium même du visible, de la lumière, la photographie, elle cherche toujours à capter ce qui échappe ou presque à la vision, ce qui se trouve au seuil de la perception. Elle ne montre pas, dès lors, ce à quoi l’on pense évidemment, ce à quoi l’on pense forcément quand on parle de sport. Elle ne montre pas l’effort lui-même, les héros, ou plutôt les héroïnes, dans tout ce qu’elles ont d’héroïque, de surhumain. Elle montre le corps, non pas exactement au repos, mais au moment où il se relâche, où il se laisse aller à la fatigue. Détente. Fragilité. Faiblesse. Il y a un moment, lorsque l’effort s’arrête, où la sueur commence à perler en haut du front. C’est ce moment-là, ce détail, fugace, dont on imagine toute la difficulté qu’il y a à le capter, dans la distance où elle se trouve, parmi la cohue du public, c’est ce moment-là que Viviane Zenner s’emploie à fixer et montrer. Ce presque invisible, qui perle un moment dans le visible, ce moment où le corps, que l’on pourrait croire machine, tant il est entraîné, tant il est virtuose, redevient corps, charnel, pesant et donc plein de grâce, ce moment où les héros, les héroïnes, baissent la garde, toute recherche de dépassement, toute volonté de puissance bue. Au milieu même d’un monde d’images trop souvent lisses, où le regard est aimanté, normé, Viviane Zenner offre ici à revoir l’humain : l’épaisseur, la profondeur d’un corps habité.

 

François Coadou 

Retour en haut