Yves MICHAUD

Ouverture, subtilité et conviction

Parcourant les vingt années de vie de la galerie des Jours de lune , au-delà du nombre des expositions impressionnant, je suis frappé d’une chose : l’extrême générosité et l’ouverture de regard de sa programmation. Toutes les pratiques artistiques sont présentes : peinture figurative et abstraite, installation, art conceptuel, dessin, photographie. Sans exclusive mais sans fourre-tout éclectique : l’intérêt va toujours aux productions jeunes et inventives, sans biais d’école ou de mode, avec une intuition très juste de l’authenticité de la démarche.

Ce qui a détruit le monde français de l’art depuis trente ans, c’est un conformisme qui ne repose même pas sur les convictions dogmatiques des décideurs, mais sur l’aptitude de leurs oreilles à capter « les bruits qui courent ».

Dans les années 1970, jusqu’à l’arrivée de la Figuration libre, l’abstraction s’imposa un temps – celle des tenants de Supports-surfaces et du hantaïsme qui ne juraient que par Matisse et la peinture américaine. Puis vinrent le postmoderne et la désorientation. Commença le règne du doigt mouillé et des grandes oreilles.

Dans un cocktail mondain photographié par l’agence Say Who, tel curateur qui passe sa vie à « réseauter » un verre à la main, entend dire que tel confrère (qui fait pareil) informé par encore un autre (qui fait aussi pareil), soutient que A est émergent. Aussitôt la chorale des curateurs-qui-curatent entame la célébration de A – qu’on laissera tomber dès que la renommée oindra B ou C ou D. Comme me disait un ami, on ne regarde plus avec les yeux mais avec les oreilles.

Heureusement, il reste des endroits précieux où des personnes curieuses aux yeux ouverts s’attachent à repérer et montrer, même au clair de lune, ce qui existe hors du monde Cartier-Carmignac-Ricard-Duchamp, en écoutant non pas la rumeur mais ce que les artistes disent entre eux et surtout en regardant ce qu’ils font.

Je fréquente assez le monde de l’art « profond », qui travaille dans des conditions précaires et dans l’isolement, pour connaître le désespoir, ou plutôt le fatalisme résigné de nombre d’artistes qui se savent exclus du circuit des « grandes oreilles ». Pourtant leurs œuvres en valent bien d’autres fabriquées par des assistants pendant que l’ « Artiste émergé » reçoit au Café de Flore ou que l’ « Agitateur officiel » fait frissonner le bourgeois branché.

Quelques galeries, souvent en province (je devrais dire les « territoires » pour être correct…), jouent ce rôle précieux d’espace de liberté [1] Viviane Zenner, qui porte de sa générosité la Galerie des Jours de Lune à Metz, avec subtilité et sensibilité – et une belle dose d’obstination – fait partie de ces belles et indispensables personnes. Elle va où son intuition et sa justesse la portent et cela donne ces vingt années d’aventure poétique dont nous parcourons maintenant le bilan si riche.

 

Yves Michaud

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